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    archive.ph Comment les supermarchés coopératifs limitent l’inflation | Alternati… 9–11 minutes

    Faible marge, salaires modérés, approvisionnement local, participation des bénévoles : les supermarchés fondés par des coopératives de consommateurs résistent pour le moment à l’inflation alimentaire.

    Comment maintenir des prix bas malgré l’inflation ? C’est un enjeu majeur pour les épiceries et supermarchés coopératifs qui ont avant tout un objectif social, à rebours de la grande distribution tenue de rendre des comptes à ses actionnaires. Fondés partout dans l’Hexagone par des consommateurs réunis en coopératives, ils sont aujourd’hui plusieurs dizaines de magasins indépendants, les uns exclusivement en bio, à l’instar de Coop Nature, à Tours, depuis les années 1980, les autres associant conventionnel et bio, sur le modèle de La Louve, à Paris, depuis 2016.

    Les coopérateurs en sont parfois les seuls clients, ou, si le point de vente est ouvert à tous, restent majoritaires. Ils contribuent bénévolement à l’activité, de façon très importante dans les jeunes structures comme La Louve, et plus marginale dans celles qui, à l’exemple de Coop Nature, ont grandi et se sont professionnalisées.

    Avoir des produits de qualité à des prix accessibles à tous les portemonnaies, c’est la raison d’être de ces magasins à but non lucratif. « Nous prenons une marge fixe de 23 % sur les produits pour financer le fonctionnement du magasin, au lieu de marges de 30 % à 40 % en moyenne dans la grande distribution et qui peuvent en réalité varier de 10 % à 100 % », détaille Faustine Auzanneau, l’une des animatrices de réseau de La Cagette, à Montpellier. A lire Alternatives Economiques n°438 - 09/2023

    Créé en 2017, ce supermarché compte 4 100 adhérents, dont 1 780 qui viennent faire leurs courses au moins une fois par mois et assurent leur service de trois heures mensuelles dans le magasin. Avec sept salariés à temps plein sur une surface de vente de près de 400 m2, il réalise un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros par an et un maigre résultat positif de 5 000 à 10 000 euros par an.

    Le modèle économique ne repose pas sur un faible nombre de salariés, que compenserait la participation des coopérateurs. « L’ancien supermarché classique dont nous avons pris la place n’employait que deux salariés », relève Faustine Auzanneau. Il est avant tout basé sur le caractère non lucratif de l’activité, une clientèle de coopérateurs fidèles qui fait ses courses régulièrement dans le magasin, une échelle de salaires resserrée. Faibles marges

    « Notre vocation est de fournir de la bio au meilleur prix au plus grand nombre. Avec une marge fixe de 28 %, on cherche à couvrir les frais, payer les salaires, mais pas de faire des bénéfices et encore moins de distribuer des dividendes à des actionnaires », abonde Jérôme Biaggi, directeur de Coop Nature, une coopérative tourangelle de 15 000 sociétaires, trois petits supermarchés bio et 58 salariés (équivalents temps plein).

    Grâce à ce modèle, l’écart de prix avec la grande distribution s’est d’autant plus creusé que celle-ci « fait plus de marges sur le bio que sur le conventionnel », précise Grégory Caret, directeur de l’UFC-Que Choisir. Ainsi, à La Louve, « on est en moyenne 20 % moins cher sur le bio que dans les supermarchés classiques », relève son président, Tom Boothe.

    L’inflation est venue bousculer ces organisations, mais le principe d’une marge fixe et très modérée a été préservé. En 2022, La Louve, qui a vu flamber sa facture d’énergie, a augmenté sa marge fixe de deux points, la portant à 22 %, toujours bien loin des marges très confortables de la grande distribution. Côté fournisseurs, les prix ont aussi augmenté.

    Cependant, les supermarchés coopératifs ont pu compter sur un autre atout : ils privilégient autant que possible le local et les circuits courts (c’est-à-dire sans intermédiaire, ou un seul), avec une bonne part de bio (ou la totalité) et de vrac. Cela conduit certes à multiplier les fournisseurs et donc à alourdir la gestion, mais la proximité géographique a permis d’éviter l’envolée du coût du transport. Quant au bio, il est moins affecté par l’inflation, à la différence du conventionnel, qui paie beaucoup plus cher ses intrants (phytosanitaires, etc.) et se révèle souvent plus gourmand en énergie. Stratégies anti-inflation

    En outre, « sur le bio, les circuits courts sont compétitifs », explique le directeur de l’UFC-Que Choisir, qui, en partenariat avec l’Inrae, les référence sur une carte interactive à destination du grand public. Au point que, « sur des fruits et légumes, les prix du bio dans un supermarché coopératif peuvent être inférieurs à ceux du conventionnel dans un supermarché habituel », d’après Jérôme Biaggi.

    A La Cagette, qui se fournit auprès de cinq maraîchers et deux grossistes en fruits et légumes bio, c’est le panachage des deux qui offre une gamme suffisante de produits et de prix. « On achète aux maraîchers à un prix relativement plus élevé qu’aux grossistes parce qu’on les laisse fixer leurs prix pour qu’ils se rémunèrent correctement », explique Faustine Auzanneau.

    En plus de ces caractéristiques structurelles protectrices contre l’inflation, les magasins coopératifs ont multiplié les initiatives pour la juguler. Première technique : le stockage. Chez Coop nature, l’inflation n’a été que de 3,63 % en moyenne en 2022, détaille son directeur, qui assure faire mieux que chez ses rivaux (6 % chez Biocoop, par exemple), et beaucoup mieux que dans l’ensemble du secteur alimentaire (+ 12 % selon l’Insee). « On a stocké un peu avant les hausses tarifaires, pour un an, parce qu’on a la chance d’avoir de grandes réserves », explique le directeur de Coop Nature.

    Deuxième stratégie – suivie avant même la vague d’inflation – : faire le choix d’une marque collective. L’association nationale des épiciers bio (Aneb) a ainsi créé avec succès la marque Elibio. « Notre but est d’avoir un premier prix de qualité en bio », résume Jérôme Biaggi sous sa casquette de trésorier de l’Aneb. En clair, l’équivalent d’une marque distributeur dans les grandes surfaces.

    Mise sur le marché depuis 2019, Elibio mise sur un catalogue de produits basiques et des volumes élevés, afin de négocier des prix équitables avec les producteurs locaux et, en contrepartie d’une exclusivité, une marge réduite (de 8 à 10 %) pour les trois distributeurs qui se répartissent le territoire français. Sur 500 adhérents, 10 % sont des magasins coopératifs détenus par des consommateurs, dont La Cagette à Montpellier qui a opté pour Elibio fin 2022. La vague frappe quand même

    Cette stratégie a porté ses fruits contre l’inflation, d’après Christian Lafaye, président de l’Aneb : « Certains produits Elibio n’ont pas bougé, d’autres, plus sensibles, comme les céréales ou les confitures, ont augmenté de 6 % ou 7 %, mais on a les moyens de coller au marché et, dès qu’il se calme, baisser de nouveau les prix. » Cette démarche, d’autres rêvent de l’étendre.

    « Entre magasins coopératifs, nous avons beaucoup de fournisseurs en commun : on pourrait avoir une plateforme d’achat pour augmenter les volumes et assurer encore mieux des prix bas », estime Faustine Auzanneau, de La Cagette.
    

    Malgré cette résistance globale à l’envolée des prix, et cet activisme, les magasins coopératifs ne vivent pas sous une bulle hermétique qui les protègerait de l’inflation. Au sein de leurs magasins, l’épicerie bio fournie par des grossistes a vu ses prix s’envoler. « L’inflation a été de 14 % », observe Jérôme Biaggi, et « tout ce qui vient de l’autre bout de la France a subi une hausse considérable ».

    Plus globalement, les clients des supermarchés coopératifs sont, comme les autres, victimes de l’inflation sur les autres postes de consommation, à commencer par l’énergie. De quoi les pousser à se tourner vers le conventionnel, même si les prix des produits bio de leur magasin préféré sont restés plutôt sages. Ainsi, à La Louve, « le ratio des achats en conventionnel a augmenté », constate son président. Résilience

    In fine, les supermarchés coopératifs qui mixent conventionnel et bio s’en tirent mieux que les autres. Ainsi, avec 100 adhérents de plus par mois et un chiffre d’affaires en progression de 20 % depuis juillet 2022, la Cagette, à Montpellier, est sur une bonne pente, même si les charges ont, elles aussi, augmenté de 20 %.

    Quant aux supermarchés coopératifs exclusivement bio, ils ont souffert d’une diminution des achats. Coop Nature a perdu certains de ses « clients occasionnels » qui représentent moins de 10 % du total de ses clients, précise son directeur. Ceux-là ne prennent pas de part sociale dans la société coopérative. D’où une baisse de son chiffre d’affaires (– 8 % en 2022) et des pertes (139 000 euros la même année). Des évolutions en ligne avec celles du marché alimentaire tout entier, qui voit ses volumes connaître une chute historique, et qui constate une descente en gamme de la qualité des produits achetés.

    La menace est sérieuse, mais le modèle des magasins coopératifs les protège pour le moment plutôt bien des plus grosses vagues. Ainsi, à Tours, Coop nature a encore « une bonne trésorerie » et peut compter sur la fidélité de ses coopérateurs. Jusque-là, elle n’a pas eu à licencier, selon son directeur. En mars, enfin, belle éclaircie : « On a fait un mois positif. »